La magie de Paveil
Il s’agissait de la dernières des trois conférences du cycle 2016 Dans le sillage des Guetteurs de Mer, et nous l’avons vécue ce 4 juin dans un superbe cadre : celui du château Paveil de Luze. Une journée marquée par la réapparition du soleil après de longs mois de pluie, ce qui nous a permis de bénéficier pleinement des extérieurs, de la promenade dans les jardins à la terrasse qui les surplombe, sur laquelle s’est déroulé le traditionnel buffet-dégustation. Une très belle après-midi, qui a réuni à nouveau une soixantaine de participants pour partager une nouvelle page d’histoire sous le ciel médocain.
C’est par le chemin des écoliers que nous sommes arrivés à Paveil, partis d’Avensan et traversant les bois qui environnent le château Citran. Première vision en parvenant sur les lieux : les rosiers plantés en bout de règes, au summum de leur floraison. Car l’enclos de Paveil fait immédiatement face à la demeure, ce qui confère une sensation d’espace, l’impression d’une « mer de vignes » rythmée par quelques pins parasols et, au loin, à Soussans, le clocher de l’église Saint-Romain. Et ce n’était qu’un prélude, car après avoir rangé les voitures à l’extrémité du parc de manière à ne rien masquer de ce paysage, c’est en nous rapprochant de la grille du château que nous avons découvert « l’allée des roses », faite d’innombrables pieds alternativement rouges et blancs, qui prolonge en direction de l’estuaire l’axe du pavillon central jusqu’à la limite de l’enclos. C’est à l’entrée du vignoble que Mélanie Fort, enfant du domaine, a débuté sa présentation du terroir, constitué voici 300 ans par Pierre Hosten et son gendre, Jean Bretonneau, le futur major garde-côte qui nous a attiré sur les lieux. En l’absence très regrettée, pour raisons de santé, de Frédéric de Luze, c’est sa sœur Catherine qui nous accueillait avec grande gentillesse et nous menait à la découverte de la propriété, depuis la cour jusqu’au musée familial dédié aux six générations qui se sont succédées à Paveil depuis 1862. Car Paveil est avant tout une maison de famille, n’ayant connu que trois dynasties sur trois siècles : Bretonneau, Minvielle, de Luze, animées d’un même amour pour cette propriété, dont l’essence a toujours été respectée. Complémentarité entre architecture et jardins, même si la forme de ces derniers a évolué au fil du temps pour répondre à l’évolution des goûts ; développement harmonieux de la demeure, dont notre conférencier rappelait qu’à l’image du « petit château de cartes » de Louis XIII magnifié par Le Vau sur l’ordre de Louis XIV, elle s’était transformée tout en préservant l’élévation et l’ordonnancement initiaux. Ainsi, même si l’ancienne cour et son retour d’angle primitifs ont repoussé leurs limites, les traces du XVIIIe siècle subsistent, sont encore visibles et palpables, et le visiteur place ses pas dans ceux des Bretonneau.
L’une des caractéristiques de Paveil, c’est l’inattendu. Car la sensation est incroyable, lorsqu’on quitte la cour, où les façades recherchent sous la vigne vierge l’effet de symétrie, pour pénétrer, à travers le pavillon traversant orienté est/ouest, sur la terrasse dominant les jardins. D’abord, c’est la découverte de cet immense parc à l’anglaise, dont la perspective de la grande allée amène la vue jusqu’à une lointaine gloriette à-demi masquée par le feuillage des arbres, avec la pièce d’eau qui miroite au creux du vallon. Ensuite, c’est la rupture avec la façade principale, comme le revers d’une médaille, qui ne présente rien de commun avec elle et se signale a contrario par son absence de continuité. Ce ne sont que détours, recoins intimistes, fenêtres s’ouvrant sur les pièces à vivre, le tout dans un écrin de verdure qui s’impose dès la terrasse avec le foisonnant jardin d’herbes aromatiques et se poursuit avec les rosiers grimpants teintés de jaune d’or. L’effet est saisissant et procure une sensation apaisante, un effet de lointain qui ferait oublier la proximité des routes et laisse affluer nombre d’images du passé. Ici, Catherine de Luze nous citait l’anecdote de son aïeule Sophie, née Cruse, mariée en 1893 à Alfred de Luze passionné comme tous les siens de vénerie et de chevaux (leur fils publiera en 1946 Hommes et chevaux du Sud-Ouest, consacré au turf) : elle fit aménager une nouvelle fenêtre pour mieux suivre des yeux les galops de son époux à travers le parc. Un parc soigneusement entretenu par les dernières générations, qui l’ont fait replanter et ont dû affronter les conséquences des tempêtes survenues depuis 1999. Le parcours dans la salle consacrée à la famille de Luze restitue les épisodes qui marquèrent la vie de la famille, de confession protestante, réfugiée en Suisse dans le cadre des persécutions qui accompagnèrent la Révolution de l’édit de Nantes, où elle créa une florissante entreprise de toiles imprimées, les célèbres « indiennes », avant de devoir tout recommencer lorsque ce produit, concurrencé par l’avènement du papier peint, s’effondre sur le marché. Une étape permettant entre autres de découvrir la personnalité de Francis de Luze, qui s’impliqua personnellement au titre de la Croix-Rouge pendant la guerre de 1870 en dirigeant l’Ambulance internationale Girondine, et mourut à la suite de l’Armée de la Loire, à 36 ans, le 15 février 1871. Sur le dernier pan de mur, les photographies de la génération montante, trois belles réalisations en grand format, témoignent de l’esprit de continuité qui règne chez ses descendants. De son côté, à travers le cuvier dont la charpente d’origine a été restaurée, Mélanie mettait l’accent sur la recherche constante de la qualité à travers la modernité des installations et l’attention portée aux techniques innovantes. Une présentation illustrée par de nombreux aspects pratiques qui révèlent le quotidien d’une propriété viticole, du mécanisme de la vendangeuse au cycle de vie des barriques. A l’issue de ces présentations, la promenade entièrement libre dans le parc, jusqu’au lac pour ceux qui le souhaitaient, permettait d’appréhender dans toute son ampleur la silhouette romantique de la demeure, comme posée artistiquement sur un coteau, reflétant sa longue façade horizontale dans ce miroir d’eau : l’image d’un Paveil intemporel.
La conférence permettait d’en découvrir la genèse, car si Paveil (ou plus exactement « le Paveil » alias « le Pabeil » comme on le trouve toujours orthographié) appartient à la catégorie des bourdieux dont nous avions déjà abondamment parlé au mois d’avril au château Lestage, il est rare de pouvoir fournir un véritable acte de naissance. L’origine de ces domaines remonte aisément au XVIIe siècle, à une période pour laquelle, en raison de différentes pertes ou de négligences, nombre d’archives notariales ont disparu, ce qui freine la reconstitution des historiques de propriété. Ici, les travaux menés en amont de cette visite-conférence permettaient de restituer le rôle de Pierre Hosten, notaire et juge de la terre de Castelnau, qui succéda en 1678 dans cette fonction à Pierre de Bergeron dont nous parlions au mois de mars au Fort-Médoc. C’est lui qui le premier développa l’idée de créer un domaine là où se situait un village paysan, dont les terres, loin de ne comporter alors que des vignes, se distinguaient surtout par la présence de terres labourables. Hosten rachète différentes parcelles, tente de les unifier, construit une grange pour l’exploitation de ses vignes, mais la maison n’est pas encore née lorsqu’en 1706, il unit sa fille unique Thérèse au capitaine Bretonneau, qui va désormais épauler son beau-père dans son projet. L’acte fondateur intervient en 1710, lorsque Guillaume Joseph de Mons, seigneur de Soussans et de Bessan, ré-acense en faveur de Pierre Hosten une place vide autrefois occupée par une masure que l’on a détruite : c’est la partie sud de la parcelle qu’occupe actuellement le château. Hosten a son idée bien en tête : il déclare au baron qu’il a l’intention d’y bâtir une demeure. Paveil naît cet été là. Au mois de décembre, Bretonneau, qui vient réaliser une nouvelle acquisition, déclare séjourner « en sa maison du Pabeil », déjà logeable, qu’elle soit ou non achevée. Cette implantation sera complétée en 1712, par le rachat de la partie nord de la parcelle à son détenteur, le nommé Georget, garde-chasse du château voisin de Citran. Parallèlement, on s’est entendu avec les laboureurs du village pour concevoir une sorte de vaste remembrement par échanges de règes de vigne, afin de compléter l’enclos : on investit massivement vers l’est, au Hourtinat, et aussi vers le nord, à la Paludate, en direction du marais d’Arcins. Le décor est posé, mais dans l’intervalle, Maître Hosten est décédé prématurément, au début de l’année 1712, dans sa 57e année. Il revient aux époux Bretonneau de poursuivre l’œuvre de Paveil.
L’itinéraire personnel de Jean Bretonneau était au cœur de l’intervention. Car ce garçon, dont un mémorialiste local disait « on ne l’aurait pas estimé 4 sous », le qualifiant de « jeune homme de 1000 écus », a réussi un coup de maître en séduisant Thérèse Hosten. Il n’a en effet aucune fortune. Orphelin de père à 13 ans en 1690, il n’a pu lui succéder dans les modestes fonctions que celui-ci occupait auprès de la famille de Gourgue dans sa terre de Vayres. Toute la fortune de la famille se résumait à un petit bourdieu situé rive droite, dans la paroisse d’Yvrac, dont sa mère a dû doter Marguerite, sa sœur aînée, en 1693. Jeune, il n’a donc pas un liard, ni de réseau familial pour le soutenir : les Bretonneau viennent de la région de Marmande, dans le Haut-pays, et les Renon, sa famille maternelle, n’exercent que de petites charges à la cour sénéchale. Jean va abandonner ses études pour entrer dans l’armée, et devient capitaine au régiment de Sourches, puis lieutenant de la colonnelle du régiment de Choiseul. Au début de l’année 1706, sa mère lui cède le produit d’une rente afin de soutenir sa carrière. Mais, est-ce la conséquence de la destruction du régiment à la bataille de Ramillies, est-ce par choix personnel, le jeune homme abandonne son parcours militaire : il a fait la connaissance de Thérèse, sans doute par l’intermédiaire de Marguerite dont l’époux possède un bien à Castelnau, et, lui qui n’avait aucune attache avec le Médoc, y voit l’opportunité de devenir propriétaire terrien. Est-ce une réminiscence de son enfance champêtre à Yvrac ? Le vœu de posséder quelque chose à lui ? Un dégoût des champs de bataille ? Peut-être tout à la fois. D’un autre côté, Jean Bretonneau n’est pas le séducteur dont on nous brosse un peu trop rapidement le portrait : une véritable union le lie à Thérèse, et le couple va avancer de concert, achevant avec méthode la construction de Paveil, leur domaine, le symbole de leur réussite. Pierre Hosten, en mourant au mois de mars 1712, a laissé une très belle fortune à sa fille, consistant entre autres en titres de créance, et la jeune femme a également hérité de son grand-père maternel, François Mauget, lui aussi ancien notaire et juge de Margaux. Les Bretonneau sont profondément attachés à leur bourdieu, où naîtra en 1717 l’un de leurs douze enfants, Augustin. En 1719, Jean est choisi pour major de la capitainerie de Buch, qui englobe une partie du Sud-Médoc jusqu’à Lacanau, à la sollicitation semble-t-il du baron d’Arès, Jean-Baptiste de Laville, qui en est le capitaine, et le connaît depuis toujours : il était déjà, avec son épouse Marguerite de Reynier, témoin au mariage en 1706. Le maître de Paveil connaît bien les terres landescotes, il assiste dans sa gestion la jeune tante de sa femme, Françoise Blancan, veuve Hosten, notamment propriétaire à Lacanau et à Carcans. Cette branche cadette n’est plus représentée que par deux demi-frères, Jean Pierre Hosten, qui tient à Listrac ce qui constitue l’embryon du château Saransot-Dupré, et le petit Jean-Baptiste, fils de Françoise, né seulement en 1713. Bretonneau est donc l’homme fort du clan, celui dont l’expérience et l’appui sont indispensables.
La mort de Thérèse, survenue à l’été 1723 après son dernier accouchement, brise tout. Paveil est en deuil, mais Bretonneau raisonne dans l’intérêt de la dynastie Hosten, et quelques mois plus tard, il propose le mariage à Françoise. Il ne peut pas présumer que quelques années plus tard, en 1732, Jean-Baptiste Hosten, qui ne l’a pas accepté, se rebellera contre lui, obtiendra son émancipation, s’emparera des biens landescots, et engagera une action judiciaire : il remet la gestion de son beau-père en cause et l’accusant formellement de s’être « engraissé » sur les biens de ses pupilles pour embellir Paveil. Mais Bretonneau n’est pas impressionnable, et face à ce jeune homme de 19 ans, il présente une défense rigoureuse, produisant ses comptes, opérant le calcul de la valeur et du revenu des biens qui nous offre un témoignage extrêmement intéressant sur l’économie de la lande. Il est comptable envers les deux sœurs de Jean-Baptiste et démontre la fausseté de ses affirmations, lorsque celui-ci lui réclame la somme exorbitante de 50 000 livres soi-disant détournée, alors que les propriétés de Lacanau, de Carcans et même de Castelnau n’en valent et n’en produisent pas le quart. Cette affaire instaure une profonde division dans la famille, Françoise prenant le parti de son fils. Où est la belle entente familiale qui régnait du vivant de Thérèse ? Il est vrai que les intérêts de la famille, compliqués par les remariages, sont on ne peut plus enchevêtrés. En 1736, des arbitres sont nommés, mais le procès ne sera réglé qu’après le décès de Bretonneau. Déçu et blessé, il se recentre sur son cher Paveil, et peut heureusement compter sur son fils aîné, Raymond, né en 1710. Il mise tout sur cet héritier, lui offrant une belle carrière de robe qui culmine avec l’achat de la charge de président à la cour des aides de Guyenne, l’une des deux cours souveraines siégeant à Bordeaux. Raymond Bretonneau est de la même trempe que son père : un jeune homme réfléchi, ordonné, intelligent voire brillant, très attaché au domaine de ses parents. Le souvenir de sa mère, morte lorsqu’il avait 13 ans, est très vivace en lui, au point qu’il se composera un blason juxtaposant ses propres armoiries avec celle des Hosten. Même disparue, Thérèse est un pilier, le maillon de la chaîne par lequel la fortune de la famille est arrivée, la cofondatrice de Paveil. En 1740, le mariage de Raymond avec la jeune Simone de Rausan, fille aînée de Jean-Baptiste de Rausan, seigneur de la maison noble de Gassies à Margaux, dont l’oncle et le grand-oncle maternels détiennent les prieurés de Cantenac et de Margaux relevant de l’abbaye de Vertheuil, et encore apparentée en Médoc aux Pichon et aux Lascombes, est un beau triomphe. Jean Bretonneau, à cette occasion, cède officiellement à son fils les biens du Médoc, tout en l’autorisant, même de son vivant, à donner libre cours à toutes les idées qu’il a pour rehausser l’éclat de Paveil. Et des idées, Raymond en a, à commencer par les jardins, auxquels il donnera une très belle forme, dans le goût italien, avec escalier à niche pour y placer un buste à l’antique, fontaine pyramidale, charmille et verger, vivier et agréments, le tout dominé par la terrasse du château. De cet amoureux de Buffon dont les œuvres peuplent sa belle bibliothèque et qui, sensible à l’esprit des Lumières, intègre vraisemblablement l’une des loges maçonniques de Bordeaux, il ne faut pas s’étonner que ses armes représentent simplement une fleur s’épanouissant au soleil. La nature, les jardins, les arbres, ne sont pas dissociables de Paveil, et cette étroite union entre l’architecture et le végétal est une constante dans l’histoire du domaine depuis trois siècles.
L’année suivante, en 1741, Jean Bretonneau rédige un testament dans les lignes duquel il n’évoquera que le souvenir de Thérèse, n’ayant pas un mot pour Françoise. Il souhaite exécuter les recommandations qu’elle lui a faites en mourant, et place au dessus de toute autre considération le maintien de l’entente entre ses enfants. Beaucoup sont morts, six avant Thérèse, et deux autres après, Augustin et la petite Madeleine dont la naissance lui coûta la vie. Il reste quatre fils : hormis Raymond, deux appartiennent à l’armée, et Xavier, le benjamin, à l’église. Solide gestionnaire et visionnaire jusqu'au crépuscule de sa vie, le capitaine Bretonneau confirme sa volonté de partager ses biens en deux lots : les biens ribeyrots à Raymond, les biens landescots à Joseph, le troisième fils, qui héritera de la maison du bourg de Castelnau, de la métairie des Lamberts et du grand rucher du Broustet. Son second fils, mousquetaire du roi, et Xavier, le plus jeune, disposeront d’une belle somme d’argent pour asseoir leur carrière, qui sera brève pour l’un, tué à Dettingen en Bavière en 1743, prestigieuse pour l’autre, devenu vicaire général du diocèse de Lodève et abbé de Valbonne. Jean n’a qu’un seul vœu : préserver l’intégrité de Paveil. Pas de partage, pas de dispersion, la belle demeure et son vignoble doivent passer dans leur entier à un héritier préférentiel qui la maintiendra avec le concours de tous. Paveil est, et doit rester la gloire des Bretonneau.
Un mois après la naissance de l’aînée de ses petits-enfants, une fille nommée Catherine, Jean Bretonneau meurt à Bordeaux le 21 mars 1742, dans sa 65e année, le jour même du printemps, un symbole pour le propriétaire de ce domaine dont les jardins vont bientôt resplendir sous l’ère de Raymond. 35 années se sont écoulées depuis le mariage, dans l’église de Castelnau, avec Thérèse Hosten, 35 années consacrées à faire naître ce domaine que l’on appellera désormais avec son fils « le cru du président Bretonneau », et qui adoptera jusqu’au milieu du XIXe siècle le nom de « Paveil-Bretonneau ». Hormis l’étude de cette fulgurante ascension sociale, plus rapide encore que celle des Bergeron étalée sur cinq générations, il y a, lorsqu’on pénètre dans l’histoire intime de cette dynastie, le sentiment que la maison de Soussans constituait le cœur de leur existence. Paveil n’est pas une simple campagne où l’on se rend une fois l’an pour surveiller les vendanges, ni un domaine dont on ne se soucie que pour sa production, telle une pièce d’un vaste patrimoine prise parmi d’autres. Les Bretonneau n’ont et n’auront que lui, et Raymond Bretonneau, qui mourra en 1774, s’y installera avec bonheur, y cultivant le souvenir de sa mère et de son père, la meublant avec élégance, y développant un art de vivre raffiné marqué par la présence de son cuisinier Pierre Bonnard, l’ancien officier de rôtisserie de la célèbre duchesse d’Aiguillon, toutes choses que nous révèlent les fouilles opérées dans de multiples sources. Les inventaires dressés après le décès de Simone de Rausan, sa veuve, morte en 1800, sont une photographie du domaine tel que le lèguent les Bretonneau à l’expiration du XVIIIe siècle. Malheureusement, la fin est proche : leur seul fils survivant, qui ne s’est jamais marié, meurt à Paveil dès 1803. Ses sœurs, hormis Pauline, veuve du conseiller au parlement Jean de Fauquier et qui demeure entre Bordeaux et son château de Canteloup dans l’Entre deux Mers, sont mariées en Périgord et en Astarac. Et en 1814, la propriété est liquidée pour honorer une dette, revenant à la famille Minvielle, qui fera le lien avec l’arrivée de la famille de Luze sous le Second Empire. Trois familles seulement, et une filiation incontestable, car l’attachement qu’éprouvent depuis plus de 150 ans les descendants d’Alfred de Luze pour le lieu fait écho à ce qu’il a représenté pour les Bretonneau, dont l’œuvre s’est insensiblement poursuivie. Sans doute parce que la magie du lieu n’a cessé d’opérer, sans distinction, quelque soient ceux qui eurent le bonheur d’en être propriétaires. Paveil a ce caractère puissant de maison de famille, discrète, dont les charmes sont cachés à la vue de ceux qui ne font que longer sa façade principale. A travers l’itinéraire de Jean Bretonneau, c’est aussi une parfaite synthèse de ce que représentaient ces officiers garde-côtes qui nous est offerte : des hommes attachés au Médoc, dont les intérêts se répartissaient du vignoble à la lande, conscients de l’identité plurielle d’une presqu’île entre terre et mer. Il sera impossible désormais, en traversant de part en part le pavillon au sol de mosaïque reliant la cour aux jardins, de ne pas imaginer l’ancien capitaine au régiment de Sourches, qui sut séduire la jeune Thérèse Hosten un jour de 1706, avançant du même pas d’un côté ou de l’autre pour découvrir ses bois et ses vignes.