A2PL a accueilli, le lundi 7 septembre 2015, Madame Gladys Guillou, arrière-petite-nièce de l’instituteur Louis Guilhou (1839-1910), qui dirigea l’école de Lacanau de 1863 à 1874, puis celle de Sainte-Hélène jusqu’en 1882, avant de terminer sa carrière à Saint-Julien-Beychevelle. L’ouvrage Gravé dans la Mémoire et l’exposition 150 ans d’école publique ont largement rendu hommage à cet homme.
Il extirpa des générations d’enfants landescots de la misère intellectuelle qui frappait encore cette population, avant l’ouverture au monde que procura le chemin de fer.
Inhumé en 1910 dans le cimetière de Lacanau, Louis Guilhou, comme on le sait, n’a laissé aucun enfant survivant. Son héritier fut son frère cadet, Pierre Guilhou, maître sellier fixé à Bordeaux, et père d’un fils unique né en 1868, qui émigra au Chili où toute la famille est désormais implantée. La forme GUILLOU y remplaça l’orthographe initiale GUILHOU. Gladys Guillou est l’arrière-petite-fille de Pierre, et compte donc parmi les plus proches parents de l’instituteur, l’une des seules à avoir regagné la France aux heures sombres de son sol natal. Elle s’est toujours captivée pour ses racines médocaines, et les contacts avec A2PL remontent à l’élaboration, en 2014, de l’exposition 150 ans d’école publique. Mais jusqu’à ce jour, Gladys, qui demeure dans le Centre de la France, n’avait jamais pu se rendre sur la terre de ses ancêtres.
Nous nous sommes retrouvés, avec Gladys et deux de ses proches amies, sur la place de l’église de Lacanau, église dont Louis Guilhou fut le chantre, pour compléter ses maigres revenus de jeune instituteur, arrivé à Lacanau à 24 ans. Une entrée au son de l’harmonium a précédé la visite de l’édifice, où Louis épousa le mercredi 10 avril 1867 Rose Dubet, fille d’un tailleur. Puis, direction l’école de la ville, qui ne porte toujours pas son nom puisque la proposition d’A2PL, formulée depuis plus d’un an, n’a pas encore été examinée dans les formes. Par bonheur, l’édifice, pour sa façade extérieure, reste quasiment identique à celui qui ouvrit ses portes au mois de mai 1864, accueillant Guilhou et ses élèves.
L’après-midi, un grand périple attendait Gladys en Nord-Médoc, sur les traces des ancêtres. Premier arrêt devant la petite chapelle de l’Hôpital, village natal de Jeanne Meynieu, mère de Louis et de Pierre. Puis, nous prenions la route de Vensac, avec une halte devant le moulin à vent que les deux garçonnets ont nécessairement approché. Dans le bourg, visite de l’église où se déroulèrent leurs baptêmes, remarquable à l’extérieur, avec sa façade classique, clocher carré et fronton triangulaire, comme à l’intérieur, par les piliers de la nef et ses plafonds également peints. Enfin, direction le lieu-dit Lamothe, une butte située au nord-est du village, où subsiste une maison, au milieu des vignes : celle où mourut Louis Guilhou le 16 juin 1910, avant que son frère ne s’en sépare. Grand plaisir à la découverte de cette belle maison de pierres avec son puits, que ses propriétaires réhabilitent dans le respect de son architecture paysanne. Ils ont réservé à notre petit groupe un chaleureux accueil dont nous les remercions très vivement.
Notre périple nous a ensuite menés à Civrac, en franchissant les deux chenaux du Gua et du Guy, longeant les vignobles des domaines d’Escurac et de Panigon. C’est là que Pierre, l’arrière-grand-père de Gladys, se maria en 1867 avec Jeanne Lamude, dont les parents étaient originaires du Béarn. Là aussi que Jeanne mourut en couches dès l’année suivante. Un tour de l’église pour admirer son superbe chevet roman, un coup d’œil aux tourelles du château La Raze-Beauvallet et aux maisons de pierre abandonnées du petit bourg, et en route pour l’étape suivante : Saint-Christoly-de-Médoc, via le port de By. Là, c’est par des chemins détournés que nous avons conduit notre invitée et ses amies dans un endroit enchanteur : le château Saint-Bonnet, où naquit, au 18e siècle, l’une de ses aïeules, Jeanne Charron, épouse d’un autre Louis Guilhou. Ce sont les grands-parents de notre Louis et de son frère Pierre. Une adorable chartreuse, baignant dans la paix du coteau, reliée à l’estuaire par une longue allée d’arbre s’étirant à perte de vue. De ces demeures magiques que le Médoc compte par dizaines, et qui paraissent rester à l’écart de toute fréquentation. Un lieu dont il fallait s’arracher pour atteindre, à travers bois, le berceau de la famille Guilhou : le village d’Ordonnac, dont le cimetière conserve encore la stèle, sculptée en 1882, d’un troisième Louis Guilhou, fils de l’aïeul et oncle de l’instituteur. Une stèle d’une facture émouvante, décorée de petits pinacles, et dont le socle s’orne de ce symbole souvent rencontré dans les cimetières médocains, celui des deux mains qui se séparent, lorsqu’un époux disparaît.
Retour vers l’estuaire par l’abbaye de l’Isle, dont nous avons admiré les majestueux vestiges, pour une halte au port de la Maréchale. Un vent terrible, mais le spectacle de la marée envahissant le chenal et des eaux agitées de la Gironde, ce fleuve que le jeune Guilhou, à la fin du 19e siècle, descendit pour émigrer au Chili et ne plus revenir.
Encore quelques kilomètres, et voici Vertheuil : arrêt incontournable à l’abbaye, et enfin, l’ultime étape du voyage, le petit château Picourneau-Malvezin, qui semble immobile et tout droit sorti d’un conte. Louis Guilhou, l’ancêtre, y fut valet de labour et y mourut en 1828. Ses fils y furent tous en partie élevés, et peut-être se souvenaient-ils d’un enfant de 3 ans, le fils du maître, le petit Théophile Malvezin qui deviendra par la suite un si célèbre homme de plume, auteur de travaux historiques consacrés à la communauté juive de Bordeaux, aux origines familiales de Montaigne, au commerce de la ville, et agronome, passionné par les techniques de la viticulture.
Il restait à rejoindre la route des vins à travers le plateau des Carruades, pour aller apprécier un verre de Saint-Estèphe sur le port de Pauillac. Dernier clin d’œil pour Gladys, sur la route du retour vers Bordeaux : le passage à Saint-Julien, où Louis Guilhou acheva sa carrière, village où il entreprit d’ouvrir la population au monde extérieur en proposant des projections cinématographiques. Eduquer le peuple, c’est éloigner le fléau des dictatures : l’histoire de l’oncle et de la nièce sont liées, et le resteront toujours.
Ce sont des amies qu’A2PL a quittées ce soir-là, et nous devons dire à tous ceux qui ont regardé avec mépris (quand ils ne l’ont pas combattue) la proposition d’A2PL d’honorer la mémoire de Louis Guilhou en donnant son nom à un bâtiment public, qu’ils manquent une aventure humaine : reconnaître un mérite tout en procurant de la joie ne coûte rien. La démarche que nous avons eue dans le cadre de l’exposition 150 ans d’école publique était de faire prendre conscience de la détermination qui fut nécessaire aux instituteurs et institutrices du 19e siècle pour remplir leur mission dans la lande, où les esprits étaient aussi déserts et arides que le sol. Si l’école ne prend pas un jour le nom de Louis Guilhou, c’est que Lacanau est bien ingrate. L’ignorance totale qui régnait dans ce bout du monde du pays landescot, c’est lui qui l’a stoppée. Et en règle générale, si cette population, dont l’évolution était déjà décalée par rapport à celle des ribeyrots plus évolués, a échappé à l’abrutissement, c’est aux Hussards de la République qu’elle le doit.
On oublie vite ce dont on est redevable à ceux qui vous ont tiré de l’obscurité, comme aux générations qui se sont battues pour acquérir des droits que l’on a seulement à défendre. C’est sans doute pour cela que la recherche historique ne plaît pas à tout le monde... Elle a deux défauts : elle ressuscite des faits que l’on préfère cacher, et elle fait réfléchir l’homme sur lui-même, ce qui empêche la pensée unique. Ce n’est pas un hasard si tous les dictateurs ont mis chercheurs et intellectuels à l’écart.
Pour Gladys, il y aura un autre voyage, car les recherches doivent continuer pour cerner l’itinéraire des ancêtres. En attendant ce moment, nous sommes heureux d’avoir pu sillonner avec elle les routes du Médoc, de Lacanau à Vertheuil, de lui avoir fait retrouver ses racines, et quitte à être accusés de sensiblerie, oui, nous avons eu beaucoup d’émotion à embrasser la petite-nièce de l’instituteur de Lacanau. Un homme admirable, dont l’héritière est une femme d’une grande gentillesse.
Pas de doute, Gladys et Louis ont le même sang.